46

Fabien Truong est interrogé sur les pratiques pédagogiques, d’abord sur les rapports entre ses expériences de voyages à l’étranger avec des élèves et des collègues et ses enquêtes sociologiques longitudinales de parcours d’élèves de Seine-Saint-Denis. Les expériences, intenses mais brèves, font-elles évoluer des constats d’enquêtes pertinentes sur la durée ? La dimension laboratoire du voyage exacerbe les questions d’identité et d’identification, montre les rapports contraints des élèves au paysage, aux végétaux et au déplacement physique. Elle décale la relation pédagogique par le partage d’une promiscuité, d’une aventure, mais la couture (Netter 2019) entre ce qui se passe dans la classe et en dehors est essentielle et c’est aux enseignants de l’accompagner selon leurs positions professionnelles, leurs connaissances, leur capacité à communiquer avec les élèves, le bricolage permanent avec leur propre épaisseur sociale.Plus largement, l’entretien souligne la nécessaire connaissance fine des publics d’élèves, si utile à l’enseignant, souvent néo-titulaire en banlieue, qui s’adresse à des êtres sociaux dans des configurations sociales variées. Elle se construit par la formation, l’apport des sciences sociales, le rapport réflexif sur leur parcours et surtout avec le temps, car l’expérience est irremplaçable face à la diversité des problèmes : décrochage et déscolarisation, rapports à la délinquance, la religion, la masculinité et les différences de genre, à la violence, mais aussi surinvestissement dans l’école, sentiment d’illégitimité… Il apparaît que l’institution regarde, dans le temps court, la salle de classe à l’aune des trajectoires (et non l’inverse) et s’attache à gérer les conflits. Or, dans le temps long, la place de la puissance publique, de l’État et de l’école produit des effets de soupape et une mobilité sociale même petite et d’une certaine manière résiduelle.

Fabien Truong is asked about pedagogical practices, starting with the relationship between his experiences of traveling abroad with students and colleagues and his longitudinal sociological investigations into the backgrounds of students in Seine-Saint-Denis. Do intense but brief experiences change the findings of pertinent surveys over time? The laboratory dimension of the journey exacerbates issues of identity and identification and shows the students’ constrained relationship with landscape, plants and physical displacement. It shifts the pedagogical relationship through shared promiscuity and adventure, but the seam (Netter 2019) between what happens in and out of the classroom is essential and it is up to teachers to support it in accordance with their professional positions, their knowledge, their ability to communicate with students, and their ongoing tinkering of their own social depth.More broadly, the interview underscores the need for detailed knowledge of student populations, extremely useful for teachers, often a neo-titular in the banlieues, who address social beings in a variety of social configurations. This knowledge is built up through training, the contribution of social sciences, a reflective relation to their careers and, above all, over time, because experience is irreplaceable when faced with a diversity of problems: dropping out of school, delinquency, religion, masculinity and gender differences, violence, but also over-investment in schools, feelings of illegitimacy… It seems that, in the short term, schools see the classroom in terms of trajectories (and not the other way around) and focus on managing conflicts. In the long term, however, the role of the public authorities, the State and schools produces valve effects and social mobility, however small and, to some extent, residual.