Histoire traumatique et transmission de la révolte
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Le Mouvement des tournesols survenu à Taïwan au printemps 2014 a eu beaucoup de retentissement sur la politique, l’économie et l’éducation, mais aussi sur la psyché de la nouvelle génération. Ce mouvement fut mené principalement par des étudiants qui réussirent à occuper le Parlement pendant vingt-quatre jours. Mais leur tentative d’occuper aussi le siège du gouvernement fut brutalement réprimée. Le choc corporel et psychique, tel un moment initiatique, a suscité chez ces jeunes le désir de mieux connaître les violences d’État commises durant la période de la dictature, qui furent longtemps tues ou minimisées. Au cours d’une enquête ethno-psychanalytique, j’ai effectué des entretiens approfondis avec une trentaine de jeunes participants du mouvement, pour comprendre leurs motivations à y prendre part et ce qu’ils en retenaient. Nés après la levée de la loi martiale en 1987, ils se désignent comme des « indépendantistes naturels », c’est-à-dire que, pour eux, Taïwan et la Chine sont évidemment deux entités politiques distinctes, ce qui n’allait pas de soi pour la génération précédente. Pour eux, Taïwan est une démocratie jouissant d’une souveraineté nationale de facto. Ils croyaient vivre dans une société où les principes fondamentaux des droits de l’homme étaient respectés, et la justice sociale garantie. Or, quand les matraques de la police se sont abattues sur eux alors qu’ils étaient désarmés, ils ont perçu la fragilité de cette démocratie. J’observe chez ces jeunes blessés voire traumatisés un double mouvement de révolte, au sens donné par Kristeva : une révolte œdipienne pour renouveler l’ordre symbolique et un retour à l’archaïque pour retisser le lien avec les origines. Dans une quête subjectivante, imbriquée avec une recherche identitaire, cette génération façonne une nouvelle forme d’indépendantisme, plus à gauche que celui de la génération de leurs parents, qui se rapproche du nationalisme libéral décrit par Yaël Tamir. À travers une lecture mêlant l’histoire et la psychanalyse, je m’efforce de clarifier les circonstances dans lesquelles prend forme la version taïwanaise de ce nationalisme civique tel qu’il apparaît dans ce mouvement sans précédent, et dans quelle mesure il fait écho aux aspirations démocratiques des générations antérieures.
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