Rétif de la Bretonne, ou la folie sous presse
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Comme rarement un auteur, Nicolas Edme Rétif (ou Restif) de la Bretonne (1734-1806), confondit sa vie avec l’écriture ; la quantité d’ouvrages qu’il laissa est colossale. Mais que ce soit du côté de l’« engluement de l’imaginaire », de la perte de transparence de la lettre et de sa valeur persécutive, de la folie des systèmes ou de la forculsion du nom, on peut reconnaître les motifs paranoïaques de son acte d’écrire. La confusion du sujet avec son propre texte prit avec Rétif des aspects uniques, répondant à un envahissement de la lettre d’une remarquable ampleur. Sa « dissection de soi » dans des « romans » tous plus ou moins autobiographiques, ses projets innombrables de réorganisation utopique du monde, se comprennent en relation avec d’autres aspects où l’écriture est présente : dans sa pulsion à recouvrir d’inscriptions et de dates les pierres de Paris, et surtout dans l’activité primordiale de l’imprimerie, puisque c’est à partir de son métier d’ouvrier imprimeur que Rétif entra en écriture. Du corps à corps avec le caractère de la casse jusqu’au produit fini et cent fois renouvelé de l’autoédition, Rétif fut aspiré dans une entreprise exténuante et démesurée d’établissement d’un écrit. Le résultat, la mémoire pour le moins défaillante que nous conservons de celui qui fut, de loin, l’auteur le plus prolixe de l’histoire de la littérature française, dressent le constat d’un plutôt mauvais ménage entre la folie et la constitution d’une œuvre.
« Rétif de la Bretonne, or madness in press » As rarely any other author, Nicolas Edme Rétif de la Bretonne (1734-1806), merged his life with his writing ; the quantity of work left behind him is collosal. However, whether « caught up in the imaginary », in the loss of transparency of the letter and its persecutive value, in the madness of systems or the forclosure of the name, one can recognise his paranoiac motives for the act of writing. With Rétif, the confusion of subject with text takes on unique aspects, responding to the invasion of the letter to a remarkable degree. His « self-dissection » in his « novels », all more or less autobiographical, and his numerous plans for the reorganisation of a utopian world can be understood in relation to other aspects where writing is present : in his urge to cover the stones of Paris with dates and inscriptions, and above all in his primordial activity of printing, since it is as a printer that Rétif began writing. From being wholeheartedly involved at the shady beginnings, to the finished and ever-renewed product of self-edition, Rétif was sucked up into the vast and exhausting venture of a setting-up of writing ; the result and our memory, unsound to say the least, of he who was by far the most prolix author in the history of French literature, attest to the fact that madness and the making-up of a lifework make a bad match.
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