Concurrence des figurations de la couleur textile au XVIIIe siècle. Autour des toiles indiennes et du manuscrit de Beaulieu (1732)
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Les historiens des sciences ont montré comment le XVIIIe siècle assistait à l’avènement d’une nouvelle compréhension de la teinture qui amorce alors sa transformation d’une pratique empirique à une science fondée sur les principes de la chimie organique. Les toiles indiennes polychromes venues d’Inde dont les couleurs fascinent et interrogent la science et les savoir-faire tinctoriaux européens jouent un rôle complexe dans cet avènement. D’une part, elles suscitent la curiosité et participent d’interrogations renouvelées autour de la solidité chromatique à l’Académie. Mais, dans le même temps, étant sous le coup d’un embargo et de l’interdiction d’être imitées en France entre 1686 et 1759, cet intérêt ne peut que se manifester de manière informelle. Ainsi, alors que s’affirme au cours du siècle une figuration de la teinture textile fondée sur les liaisons chimiques, les toiles indiennes continuent d’opposer une autre appréhension de la couleur, dans laquelle est rendu patent l’ensemble matériel complexe dont elle dépend. Dans cet article, nous nous intéresserons à une série d’observations françaises faites à propos des techniques indiennes entre la fin du XVIIe siècle et le milieu du XVIIIe siècle et à leurs réactivations successives au moment de la campagne contre l’embargo, voire plusieurs décennies après la levée de celui-ci. Parmi ces observations, un manuscrit échantillonné réalisé à Pondichéry par un capitaine de vaisseau de la Compagnie française des Indes orientales en 1732 joue un rôle particulier. L’histoire de ce manuscrit et de sa longue postérité nous invite à réfléchir à la concurrence de différentes figurations de la couleur textile au XVIIIe siècle. Alors que s’affirme une compréhension scientifique – et plus particulièrement physico-chimique – des phénomènes tinctoriaux, les toiles indiennes continuent d’opposer une figuration concurrente de celle-ci où la réussite chromatique est réintégrée à un ensemble matériel complexe dont l’échantillon textile est l’incarnation.
Historians of science have shown how in the 18th century dyeing transformed from an empirical practice to a chemistry-based science, giving rise to an new understanding of textile colour. Indian chintz, whose varigated colours both fascinated and challenged Europeans who did not master the art of cotton dyeing, played a complex role in this development. On the one hand, Indian chintz aroused curiosity and led to renewed questions about colourfastness at the Académie. But at the same time, Indian painted cottons wer subject to an embargo and their imitation banned in France between 1686 and 1759, this interest could only manifest itself informally. So, while a representation of textile colour dyeing based on chemical bonds gradually emerged over the course of the century, painted Indian cottons continued to offer a different, competing, understanding of colour, one where the complex material ensemble on which vivid colours depended was made obvious. The article examines a series of French observations made about Indian techniques between the end of the seventeenth century and the middle of the eighteenth century. It looks at how these texts resurfaced at the time of the campaign against the embargo, and even several decades after the ban had been lifted. Among these observations, a 1732 manuscript produced in Pondicherry by a captain of the French East India Company and accompanied by 11 textile swatches plays a special role. The history of this manuscript and its long afterlife invites us to reflect on the competition between different representations of textile colour in the eighteenth century. At a time when a scientific and more specifically physico-chemical understanding of dyeing phenomena was gaining ground, Indian fabrics continued to offer a competing representation of colour, in which chromatic success was reintegrated into a complex material whole, best embodied by the textile swatch.
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