De l'« efficacité » des politiques publiques : la lutte contre l'avortement « criminel » en France, 1890-1950
Type de matériel :
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La lutte contre l’avortement clandestin, étudiée dans sa genèse, ses formes institutionnelles, et son rapport aux populations ou catégories cibles, révèle une variété de facettes qui interdit d’y lire un simple phénomène répressif ou même coercitif. L’examen des instruments et méthodes d’action, préconisés ou effectivement institués, permet de considérer l’articulation de moyens conventionnels de « contrôle des corps » et de techniques plus subtiles d’activation de ressorts moraux ou normatifs. Objet d’une politique publique, la population (en tant que regroupement d’individus dont l’assentiment, et plus encore la subjectivation conditionnent la réalisation des fins posées) en est aussi actrice. La réceptrice des messages diffusés par les adversaires de l’avortement est travaillée jusque dans sa sensibilité, son sens moral, son rapport au temps et à l’avenir. Il devient dès lors délicat de s’arrêter au constat d’une « inefficacité » de la répression pénale, tel qu’on peut l’induire de l’écart entre les chiffres de la justice et ceux, estimés, de la fréquence de cette pratique. La politique anti-avortement a pu, sans atteindre le but qui lui était explicitement assigné, n’en être pas moins opérante à divers niveaux.
The fight against illegal abortion in XXth century France cannot be reduced to a simple question of repression or coercion, as is revealed by the study of its origins, institutional frames and target population. The recommended and/or established instruments and means of action combined disciplinary systems aiming at controlling the body with more subtle techniques which made use of the moral and normative motivations of the subjects. The population – defined here as a group of individuals whose consent, and even more, whose subjectivization determine the achievement of the project that has been laid down – is therefore not only the object of public policy, but also one of its actors. Anti-abortion messages were couched in a way that worked on the sensibilities, moral sense and temporalities of the population. As a consequence, historians should not assume too quickly that penal measures were « ineffective », as could be inferred from the judicial statistics which show a low condemnation rate in regard to the number of abortions. Although the anti-abortion policy never achieved its primary purpose, it succeeded in influencing the population at different levels.
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