Vers l'État post-colonial : enseignants créoles et pouvoir local en Guyane (années 1950-1960)
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Dix ans après sa mise en place en 1946, la départementalisation, processus par lequel les quatre « vieilles colonies » sont transformées en départements français d’outre-mer (DOM), est critiquée par les élites sociales et politiques « domiennes ». En Guyane, les enseignants créoles s’appuient particulièrement sur la survivance d’inégalités salariales en leur défaveur pour dénoncer la réalité décolonisatrice de la départementalisation et affirmer la continuité d’une logique coloniale dans les rapports socioprofessionnels entre les enseignants en Guyane. La mobilisation des enseignants créoles qui s’ensuit dans les années 1950, afin d’obtenir une égalité des traitements avec les enseignants qui proviennent de la « métropole », met alors en relief un double clivage : d’une part, un clivage social entre Créoles et Métropolitains, d’autre part un clivage politique entre autonomistes et départementalistes. Pourtant, cette mobilisation permet en retour aux enseignants créoles guyanais de bénéficier d’un régime que l’on pourrait qualifier de proche des politiques de discrimination positive. Elle favorise également leur entrée sur la scène politique locale dont, à partir des années 1960, ils deviennent les acteurs majeurs. La départementalisation est donc un accélérateur du renouvellement des élites sociales et politiques guyanaises. En somme, en Guyane, au cours de la transition du statut colonial au statut départemental, continuité coloniale et discontinuité post-coloniale sont les deux faces d’un processus de recomposition sociale et politique, au cours duquel les enseignants créoles guyanais deviennent une élite dirigeante de leur département.
Towards the post-colonial State: Creole teachers and local power in French Guiana (1950’s-1960’s)Ten years after the four “old colonies” were transformed into French Overseas Departments, as established by the 1946 Assimilation Law, their social and political elites began to oppugn the process of departmentalization. In French Guiana, the Creole teachers’ denunciation of a departmentalization which they regarded as a “false” decolonization was mostly grounded on an enduring pay gap that pointed to a permanence of the colonial order insofar as the pecking-order between teachers in French Guiana was concerned. The ensuing mobilization of the Creole teachers in the nineteen fifties, which aimed at obtaining the same pay as teachers from metropolitan France, highlights a double divide: on the one hand a social divide between Creoles and Metropolitans, and on the other a political divide between autonomists and departmentalists. However, the mobilization allowed French Guianese Creole teachers to benefit from policies which could be described as positive discrimination. It also eased their accession to the local political scene, where they became major players from the nineteen sixties onwards. Departmentalization thus accelerated the renewal of the social and political elites in French Guiana. In short, during the transition from colonial status to departmental status in French Guiana, colonial continuity and post-colonial discontinuity were the two faces of a process of social and political recomposition, during which Guianese Creole teachers became a leading elite of their department.
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