L’obstétrique sous influence : émergence de l’accouchement sans douleur en France et en Suisse dans les années 1950
Type de matériel :
95
La méthode psychoprophylactique d’accouchement sans douleur, d’origine soviétique, est diffusée en Europe de l’Ouest à partir du début des années 1950. Cet article s’emploie à montrer que ce mode d’analgésie non pharmacologique ne représente qu’une innovation partielle par rapport à des pratiques en cours localement. Son pouvoir d’attraction découle moins de son statut d’outil innovant venu résoudre un problème médical que d’une mise en scène de progrès scientifiques. Une chronologie serrée de sa période d’implantation en France et en Suisse montre en effet qu’elle s’impose dans le monde médical de ces deux pays grâce à une campagne de soutien organisée par les milieux communistes. Sans un travail médiatique clairement partisan qui suscite l’intérêt du grand public, sa seule valeur intrinsèque ne lui aurait pas procuré une diffusion aussi large (à échelle nationale et internationale). Si ses affinités politiques n’entraînent pas son rejet, c’est qu’elle rencontre les intérêts professionnels des obstétriciens, leur pragmatisme, leurs représentations des femmes, et qu’elle se réclame du scientifique de renommée internationale Ivan Pavlov. L’accouchement sans douleur offre une illustration peu commune de la contingence sociale et de l’hétéronomie politique des savoirs scientifiques et médicaux.
Originating from the Soviet Union, the psychoprophylactic method known as painless childbirth spreads in Western Europe from the beginning of the 1950s. This article aims to show that this type of non-pharmacological analgesia represents only a partial innovation with respect to practices already used locally. It exercises a power of attraction less as an innovative tool capable of resolving an identified medical problem than as a demonstration of scientific progress. A systematic chronology of the stages of its implementation in France and in Switzerland shows that it actually takes hold in the medical communities of those two countries thanks to a support campaign organised by communist circles. Without a clearly partisan media campaign that aroused a keen interest on the part of the general public, its intrinsic value would not singlehandedly have afforded it such a broad (national and international) dissemination. Its political connections – that may have been expected to lead to its rejection – did not diminish its appeal to the professional interests of obstetricians, to their pragmatic approach and to their representations of women; moreover it carried the aura of Ivan Pavlov’s scientific fame. Painless childbirth thus provides a remarkable example of the social contingency and political heteronomy of scientific and medical knowledge.
Réseaux sociaux