Nouveaux éléments sur la métalangue naturelle : le cas de la phrase averbale existentielle négative en anglais
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Résumé L’étude d’un corpus de plus de mille six cents énoncés averbaux tirés d’œuvres de fiction contemporaine de langue anglaise (Delorme 2004a) révèle une fréquence très élevée d’énoncés de type ou , de loin plus nombreux que les énoncés attributifs et existentiels « positifs » au sein du corpus. Un examen des traductions françaises de ces énoncés montre une nette tendance au rétablissement d’une structure verbale dans la langue cible, en dépit du fait que les prédicats existentiels averbaux sont très répandus en français contemporain, comme en témoignent les travaux de Lefeuvre (1999, 2004 ; Behr & Lefeuvre 2010 ; Havu & Lefeuvre 2010). Si, à l’instar des grammairiens du bon usage (Grevisse, Swan, Fowler), on peut invoquer une motivation stylistique justifiant l’emploi de ces énoncés dans les textes (accélération du rythme narratif, concision du discours), il est plus difficile de comprendre ce qui les différencie sémantiquement de leurs corrélats verbaux, constat problématique pour qui prête foi au principe selon lequel une différence formelle doit se traduire par une différence de sens (Bolinger 1977). C’est pour résoudre ce problème que nous présentons ici l’hypothèse d’une motivation métalinguistique de ces énoncés. Dans le texte, la tournure attributive ou présentative à verbe être / be n’a d’autre fonction que de garantir la cohésion textuelle ; or le pronom anaphorique there prend appui sur le contexte à gauche et la copule situe la prédication par rapport à la situation de récit, en rupture avec la situation d’énonciation. En l’absence de ces taxèmes, le prédicat existentiel négatif rompt avec le flux discursif. L’énoncé négatif implique un préconstruit, celui d’une attente mise en place dans le contexte à gauche (explicitement ou implicitement, selon les critères de pertinence définis par Sperber & Wilson 1986) et contrariée par la suite. Les lignes de perspective tracées dans l’avant discursif sont interrompues et la forme averbale de l’énoncé vient inscrire dans la syntaxe même cette discontinuité. Une attente est créée dans le fil du texte puis contrariée ; la syntaxe se fait écho de cette rupture en privant momentanément le texte des taxèmes qui garantissent normalement sa cohésion. Nous voyons dans ce processus iconique une manifestation de la métalangue naturelle adamczewskienne, concept présent en filigrane chez d’autres théoriciens, à divers titres (Cotte 1998, Culioli 1991, Wlodarczyk 2006), et dont une formalisation synthétique reste à élaborer.
This article discusses the overwhelming frequency of negative existential verbless predicates found in a corpus of over a thousand and six hundred verbless utterances drawn from a stylistically heterogeneous collection of excerpts of English prose (Delorme 2004a). Whilst structures involving a negative marker followed by an NP or pronoun seem particularly frequent among verbless utterances, we may wonder why their French translation often resorts to an overt existential structure, though 1. any difference in form implies a difference in meaning (Bolinger 1977) and 2. negative verbless predication is a largely widespread phenomenon in contemporary French, as shown by Lefeuvre (1999, 2004 ; Behr & Lefeuvre 2010 ; Havu & Lefeuvre 2010). Given these objections, it seems that the translation of English verbless predicates by verbal structures in French (and vice versa) is chiefly motivated by grammatical consciousness and the feeling that verbless utterances are intrinsically substandard and therefore inappropriate to literary prose. When authors like Grevisse, Fowler or Swan explain the use of such structures by stylistic factors, we put forward the idea that they are motivated by a semantic / pragmatic parameter: in written – as well as oral – texts (as defined by Quirk et al. 1985), the sole function of the overt existential structure is to guarantee textual cohesion ( there stands for space, be copula for time). When these markers are not present, the negative predicate sets itself off meta-linguistically from the left context, thus providing iconic support for the thwarted anticipation felt by the reader waiting for an entity that does not manifest itself, contrary to what s / he was to expect from the prior context. In other words, the choice of a verbless structure extends within the grammatical form of the utterance the idea of a break within the narrative flow. If it is confirmed, this hypothesis provides a strong argument for acknowledging the existence of a secret metalanguage within language, as vindicated by Adamczewski 1996 or Cotte 1998.
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