Le Gouriellec, Sonia
Vers un nouveau modèle d'insurrection de déni de pouvoir central dans les sociétés segmentaires : le cas somalien
- 2010.
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La Somalie offre un cas intéressant d’insurrection dans une société segmentaire. Contrairement aux insurrections africaines de l’ère de la décolonisation, puis de la Guerre froide, il s’agit moins de conquérir un pouvoir central inexistant, que d’interdire toute émergence d’un système politique centralisé fort. Les échecs successifs de reconstruction de l’État somalien s’expliquent par la résistance de la société organisée en clans rivaux et déchirée par les luttes entre seigneurs de guerre. Confrontée à cette situation, la communauté internationale n’a guère d’instrument d’intervention. Elle ne peut pratiquer les stratégies de contre-insurrection utilisées dans le passé, en raison de leur inadaptation aux sociétés segmentaires. En effet, ces stratégies impliquent l’existence d’un État suffisamment puissant pour les mettre en œuvre et sont concentrées sur la restauration de la légitimité gouvernementale par la reconquête des territoires gagnés aux insurgés et le contrôle des populations perdues. Le cas somalien indique plutôt l’existence d’un nouveau modèle insurrectionnel, propre aux sociétés segmentaires, qualifié de « déni de pouvoir central », dans lequel des acteurs armés tribo-claniques tentent de préserver un système politique décentralisé au nom d’un principe de légitimité communautaire, étranger à celui de l’existence d’un État. The Somali insurgency seems to be quite different from the past African insurgencies that occurred in the Decolonization and Cold War eras. In Angola, Mozambique or Rhodesia, revolutionary insurgents used to fight to overthrow established governments and gain state power. In Somalia, a “segmentary society” organized along clanic lineages, all efforts made to rebuild a central state failed miserably. In such a society, the “classic” counterinsurgency strategies revitalized by the Americans in Iraq could not be implemented. Indeed, a COIN strategy relies on a working local government. Its rationale is the enhancement of the government’s authority and legitimacy disputed by the rise of insurgents’ counter-state organization. Both are lacking in a “segmentary society”. The Somali case rather indicates the existence of a different model, labeled “State Denial Insurgency”, in which the aim is to prevent the establishment of a strong central government. Tribo-clanic organizations and armed factions have in common a vested interest in keeping a decentralized and traditional political system and fight against any attempt to change it. Very similar examples can be found in Yemen or in Afghanistan. If true, this model of insurgency relevant for “segmentary society” could help to design new strategies.