Hawken, Johanna

Concilier pratique de la réflexion éthique et pratique de la réflexion philosophique dans la philosophie pour enfants (ppe) : éclairages théoriques et préconisations pratiques chez Ann Margaret Sharp - 2024.


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Depuis les années 1970, la philosophie pour enfants ( ppe) s’est structurée, en tant que nouvelle pratique éducative, autour d’un projet éthique et politique fort : transmettre aux enfants, âgés de 4 à 18 ans, les outils intellectuels et sociaux permettant de devenir des citoyens autonomes, altruistes, critiques et porteurs d’une éthique de vie et de pensée (Lipman, 2008 ; Sharp, 1987). Ce projet a été porté notamment par Ann Margaret Sharp et Matthew Lipman, souvent considérés comme le couple fondateur de la méthode de la communauté de recherche philosophique ( crp), en classe. Dans notre article, nous souhaitons centrer notre analyse sur les travaux d’Ann Margaret Sharp, afin d’étudier cette tension entre la visée philosophique et la visée éthique dans la pratique de la philosophie pour enfants. En effet, la philosophe américaine souhaitait transmettre, simultanément, une pratique de la réflexion philosophique et une pratique de la réflexion éthique, et considérait même – étant ouvertement platonicienne – que ces activités constituaient les deux facettes d’une même médaille. Dans le même temps, elle était tout à fait consciente des dérives propres à la moralisation ou à l’instrumentalisation de la philosophie au nom de l’éducation éthique. En effet, si cette pratique intellectuelle est instrumentalisée au nom de la formation éthique des enfants, elle risque de perdre certaines caractéristiques définissant sa philosophicité : la critique, la liberté intellectuelle, le questionnement des normes et des conventions, la complexité des problèmes et de leurs réponses, l’amour des hypothèses et des idées, le mouvement dialectique de la pensée. Since the 1970s, philosophy for children ( pfc) has been structured as a new educational practice around a strong ethical and political project: to provide children aged between 4 and 18 with the intellectual and social tools they need to become autonomous, altruistic and critical citizens, with an ethic of life and thought. This project was championed by Ann Margaret Sharp and Matthew Lipman, who are often regarded as the founding couple of the philosophical research community ( prc) method in the classroom. In our article, we wish to focus our analysis on the work of Ann Margaret Sharp, in order to study the tension between philosophical and ethical aims in the practice of philosophy for children. Indeed, the American philosopher wished to transmit, simultaneously, a practice of philosophical reflection and a practice of ethical reflection, and even considered – being openly platonic – that these activities constituted two sides of the same coin. At the same time, she was well aware of the dangers of moralising or exploiting philosophy in the name of ethical education. Indeed, if this intellectual practice is instrumentalised in the name of the ethical education of children, it risks losing certain characteristics that define its philosophical nature: criticism, intellectual freedom, the questioning of norms and conventions, the complexity of problems and their answers, the love of hypotheses and ideas, the dialectical movement of thought.