Charles, Lise

Parler à des sourds. Les apostrophes métaleptiques dans le roman du xvii e siècle - 2018.


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S’il est une figure de la transgression, c’est bien la métalepse. Par elle est franchie la « frontière sacrée » qui sépare le monde du narrateur de celui de ses personnages. Il est donc naturel que les exemples le plus souvent cités de métalepses soient issus d’une littérature comique, ludique ou expérimentale. La considération d’un corpus peu connu, celui des histoires tragiques et des histoires d’amour du premier xvii e siècle, offre un autre visage du procédé : il est fréquent que, dans une « apostrophe métaleptique », le narrateur s’adresse à ses personnages pour les prévenir de leurs malheurs à venir. Nous faisons l’hypothèse que le procédé n’est pas perçu, au début du siècle, comme une véritable transgression, car les frontières entre les deux mondes sont alors peu étanches, et les différentes postures du narrateur particulièrement souples. If there is such a thing as a transgressive device, it is metalepsis. It allows us to cross the “sacred frontier” between the narrator’s world and that of his characters. It is therefore not surprising that the most frequent examples of metalepses are taken from comic, playful, or experimental literature. But if we study the less-known tragic stories and sentimental novels of the early seventeenth century, we will see another side of the device: in what we may call metaleptic apostrophes, the narrator often addresses his characters in order to warn them about their future misadventures. We can make the assumption that at that time the device was not perceived as a real transgression, because the frontiers between the two worlds were less impervious and the various narrative postures more flexible.