Balzacq, Thierry
Violence et rationalité expressive. Réflexions sur les études critiques du terrorisme
- 2011.
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Un tournant critique a récemment modifié la trajectoire des études du terrorisme, déstabilisant les ressorts majeurs qui semblaient soutenir le développement scientifique de l’analyse des phénomènes liés, de près ou de loin, à la violence terroriste. Cet article cherche, dans un premier temps, à rendre compte des principaux axes de cette transformation en débusquant les artifices utilisés, dans la littérature dite « traditionnelle », pour dissimuler le terrorisme d’État (ontologie), en interrogeant les processus de production des « régimes de vérité » sur le terrorisme (épistémologie), et en examinant, enfin, la pertinence, en termes de politiques publiques, des études critiques (praxéologie). Mais, c’est sur ce point que les approches critiques du terrorisme sont confrontées à un écueil important. La pertinence politique des études critiques se déduit nécessairement de sa capacité à déceler ce qui fonde la violence terroriste. Or, les études critiques ont, jusqu’ici, mimé les études traditionnelles, faisant de la rationalité instrumentale la clé de la violence terroriste. Cet article suggère que les études critiques ont tout intérêt à élargir leur conception de la rationalité, afin de saisir les cas de violence terroriste qui n’escomptent guère de feedbacks ou sont, en apparence, absurdes. L’article recourt, à travers le concept d’humiliation, à la « rationalité expressive », qu’il érige ainsi en moteur essentiel, non exclusif certes, de l’action terroriste. In the recent years, a critical turn has given a decisive impetus to the approaches that used to sustain the development of the traditional analysis of phenomena linked, in one way or another, to terrorist violence. This article seeks, at the most basic level, to review the core features of this transformation in three distinctive ways. One, it escavates the strategies which enable traditional approaches to dissimulate state terrorism (ontology) ; two, it examines processes by which traditional approaches design specific “regimes of truth” and the effect these have on the production and dissemination of knowledge about terrorism (epistemology) ; three, it investigates the policy relevance of critical approaches to terrorism, arguing that emancipation raises more problems than often acknowledged (praxeology). However, the relevance of critical approaches to terrorism depends, primarily, on their ability to unveil what causes terrorism. Surprisingly, critical views have generally micmicked traditional approaches, assuming that terrorist violence was strictly associated with instrumental rationality. This article takes a different tack. It suggests, then, that critical approaches could be strengthened if they broadened their view of rationality, which might help them account for acts of political violence that do not expect any feedbacks or are deemed absurd, i. e. irrational, a priori. In this light, the article argues, a substantial body of research reveals that terrorist violence is very often the result of an expressive rationality, of which humiliation is a distinctive kind.