Galano, Jean-Michel
Le ver était-il dans le fruit?
- 2016.
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Les textes religieux seraient responsables des crimes que certains commettent en leur nom. C’est là une confusion catégorielle que cet article se propose de dissiper. Il s’attache d’abord à distinguer, en rappelant les analyses de Spinoza et de Kant, l’ordre de la lettre et celui du réel. Kant a établi que « l’être n’est pas un prédicat réel », et qu’entre les idées et les actions, il y a un écart qualitatif que seule peut combler une décision d’ordre pratique, dont la responsabilité est toute entière imputable aux individus et aux institutions. C’est ce qu’illustre, dans l’histoire du christianisme, l’usage de la référence au « Compelle intrare » (Luc XIV 21-23) pour justifier les conversions forcées. L’idée qu’une pratique politique se trouverait en germe dans un texte a pour effet, et parfois pour fonction, de disculper les vrais coupables et de culpabiliser les vrais croyants. Elle est un avatar ultime de la sacralisation des textes dans les religions du Livre. The religious texts are often held responsible for crimes committed on their behalf. This is a category-specific mistake this paper tries to clear up. It calls back the total heterogeneity between the order of the letter and that of the reality, as emphasized by Spinoza and Kant. Kant established that “the being is not a real predicate”. Between ideas and actions, there is a qualitative gap that can be filled only by a decision of practical order, for which only individuals and institutions are liable. The history of Christianity provides a good factual illustration with the well-known « Compelle intrare »(Luke XIV 12-23) used as a pretext to justify the forced conversions. The idea of some germ process between a text and a political practice entails, and sometimes seems to have been devised for, blurring responsibilities and making ordinary believers bear the blame. This idea appears to be an ultimate avatar of the sacralization of texts in the religions of the Book.