Reach, Gérard

L'inertie clinique, un conflit entre deux logiques - 2012.


8

Résumé Dans tous les domaines de la médecine, on observe que les médecins, souvent, ne suivent pas les recommandations en vigueur. L’ampleur de ce fossé entre les recommandations et la réalité clinique, décrit en 2001 par Phillips sous le nom d’inertie clinique, peut être vue comme un échec de la médecine fondée sur les faits ( Evidence Based Medicine), élaborée pour faire en sorte que la plupart des patients bénéficient des meilleurs soins, définis sur la base des meilleures données disponibles de la science. Il semble donc exister une contradiction entre deux logiques. La première est celle de la médecine fondée sur les faits, dont le corpus est constitué de données récoltées dans des essais conçus pour éliminer autant que possible les biais liés à la variabilité intrinsèque de tout phénomène vivant : les essais contrôlés randomisés ( Randomized Controlled Trials), réalisés sur des cohortes de patients, ont ainsi acquis une place dominante dans le « rationnel » qui conduit à la formulation de recommandations. Face à ce rationnel, il faut considérer une deuxième rationalité, celle représentée par la logique du médecin, qui doit prendre une décision appropriée au cas singulier qu’il a en face de lui. Il applique non seulement ce qu’il sait des recommandations en vigueur, mais aussi, comme le recommandent les principes de la médecine fondée sur les faits, son évaluation du contexte particulier de ce patient. Il existe en fait une deuxième différence entre la logique de la médecine fondée sur les faits et celle du médecin : la première repose sur une méthodologie visant à éliminer les biais. La seconde comporte inévitablement des biais liés au mode de raisonnement humain, qui d’une part a une composante émotionnelle et d’autre part a recours à des heuristiques, ces raccourcis mentaux qui nous permettent de raisonner rapidement dans un contexte d’incertitude, au risque de nous induire en erreur. Il apparaît ainsi que l’existence du phénomène d’inertie clinique impose une réévaluation critique du facteur humain dans la décision médicale, face au nouveau paradigme de l’ Evidence Based Medicine. In all the fields of medicine, one observes that doctors, often, do not follow current guidelines. The width of this chasm between guidelines and clinical reality, described in 2001 by Phillips under the name of clinical inertia, can be seen as a failure of Evidence-based medicine, developed to make it that most patients benefit from the best care, defined on the basis of the best available data of science. It thus seems to exist a contradiction between two logics. The first is the logic of Evidence-based medicine, whose corpus consists of data collected in trials conceived to eliminate as much as possible biases related to the intrinsic variability of any living phenomenon : the randomized controlled trials, carried out on cohorts of patients, thus acquired a dominant place in the “rational” which leads to the formulation of guidelines. Vis-à-vis this rational, it is necessary to consider a second rationality, that represented by the logic of the doctors, who have to take a decision appropriate to the singular case they have to care of. They apply not only what they know of current guidelines, but also, as recommended by the principles of Evidence-based medicine, their evaluation of the particular context of the patient. There exists actually a second difference between the logic of Evidence-based medicine and that of the doctor : the first relies on a methodology aiming at eliminating biases. The second is inevitably subjected to biases related to the way humans are thinking, which on the one hand has an emotional component and on the other hand uses heuristics, which are mental short cuts which enable us to reason quickly in a context of uncertainty, with the risk to induce us in error. It appears thus that the clinical phenomenon of inertia imposes a critical reappraisal of the human factor in the medical decision, vis-à-vis the new paradigm of Evidence-based medicine.