Coppens, Philippe
État, marché et institutions
- 2007.
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La théorie économique du XXe siècle repose majoritairement sur une distinction assez radicale entre l’économie positive d’une part et l’économie normative d’autre part. La première aurait pour tâche de décrire et de proposer les allocations de ressources les plus efficientes d’un point de vue quantitatif, c’est-à-dire indépendamment de toute considération éthique sur la juste redistribution des ressources. Dans son modèle le plus pur, cette théorie économique néo-classique du marché en concurrence parfaite n’est, a priori, compatible avec aucune forme institutionnelle étatique. Elle prétend ne reposer que sur deux piliers : une norme de rationalité des agents selon laquelle tout acteur économique est uniquement préoccupé par la maximisation de sa propre utilité ; et un marché, place neutre et transparente, qui reçoit des données quantitatives relatives à des offres et des demandes, les agrègent et les transforment en informations disponibles (les prix) pour les agents. Cet article critique ce modèle en montrant que les deux piliers sont aujourd’hui fortement fragilisés par les travaux d’économistes et de psychologues contemporains. Il replace aussi la notion d’échange économique désincarné dans une notion d’action pragmatique dans laquelle la temporalité retrouve un rôle central. Il propose enfin un concept de rationalité économique qui se rapproche davantage de la catégorie sociale de l’homme raisonnable, normalement prudent et diligent, que le droit construit depuis ses origines. STATE, MARKET AND INSTITUTIONS Mainstream economics is built on a strong separation between positive economics and normative economics which in fact proceeds from Hume’s dichotomy between « is » and « ought ». The former would describe some aspect of economy (around the question of allocations of scarce resources) with positive and objective statements ; whereas the latter could only prescribe some policies for using the scarcity with normative and subjective statements. Normative and subjective are particularly used to mean that these statements rest upon value judgments which can not be universalized and, hence, which are neither true nor false. In its purest form, the model of market economy with perfect competition is not compatible with any form of government. Economic actors are always maximizers of their own utility – that is the most striking feature of their personality, if not the only one ! And the market, the second pillar of the system, translates the demand and supply of goods and services by prices. My paper criticizes these two pillars. The idea is to substitute the notions of economic rationality and market by a locus in which pragmatic action and institutions can give some more substance to a far too much mechanical human being. By this shift, we try to think the concept of methodological individualism in terms of a legal, social and intersubjective category.