Oubliez les souverains, aussi idéaux que fantomatiques. Balayez le discours chrétien sur le bien et le mal. Soyez pragmatiques, séparez politique et morale : « Il y a un tel écart entre la façon dont on vit et celle dont on devrait vivre, que celui qui délaisse ce qui se fait pour ce qui se devrait faire apprend plutôt à se perdre qu’à se sauver ». Avec Machiavel, c’est coup de torchon sur les bons sentiments ! Renoncez à l’idée qu’avec le temps les hommes apprendront (des sciences, des religions ou de la philosophie) à vivre en harmonie ! Le Florentin réclame de son lecteur qu’il regarde la « vérité effective de la chose », le conflit irréductible des désirs. La fin, c’est-à-dire la raison d’État, justifie les moyens. Autant dire que, de Poutine aux futures élections présidentielles, sa lecture s’impose parce qu’elle offre une perspective indispensable pour comprendre l’actualité. Le monde selon Machiavel est brutal, chaotique et hasardeux. Le bon chef d’État est celui qui s’adapte. Un seul principe, celui d’incertitude. Il n’a pas pris une ride. •D’abord, explique le philosophe Pierre Manent, parce que celui qu’il admire comme « le Christophe Colomb de la politique » est le premier à « regarder le monde humain comme la somme immense et indéterminée de toutes les actions possibles ». •Ensuite, note Marie Gaille, parce que Machiavel invite à prêter à attention aux signes avant-coureurs des grandes transformations du monde : « Le prince doit saisir les signes de transformations encore invisibles s’il veut anticiper les crises. » •Enfin, parce que nous vivons, selon Thierry Ménissier, « une époque machiavélienne et parfois machiavélique ». Les nouveaux « princes » du XXIe siècle sont bien vivants, et, s’ils semblent capables de s’adapter aux caprices de la fortuna, qui est au cœur de la pensée de Machiavel, reste à savoir s’ils disposent de la virtu nécessaire pour affronter les Borgia de notre époque… ou ne pas le devenir eux-mêmes. Notre nouveau hors-série propose une relecture actualisée de la pensée de l’auteur du Prince : tout en revenant sur la vie de Machiavel dans une biographie détaillée, sur les grands principes de sa pensée à travers un manuel, et sur la réception polémique d’un philosophe considéré tantôt comme le conseiller des tyrans, tantôt comme le défenseur des peuples, ce numéro confronte l’œuvre du Florentin aux grandes questions contemporaines, de l’hégémonie des Gafam à la condition féminine en passant par la crise de la démocratie représentative.