Par-delà le despotisme, ou pourquoi le roman du sérail est-il bien un roman ?
Chassot, Fabrice
Par-delà le despotisme, ou pourquoi le roman du sérail est-il bien un roman ? - 2022.
23
En interprétant le sérail comme une figuration du despotisme, n’a-t-on pas « orwellisé » la partie orientale des Lettres persanes ? A-t-on pris la mesure d’un romanesque qui donne la part belle à l’imprévu et au libre jeu d’acteurs singuliers ? Certes, Montesquieu utilise le sérail pour concevoir une organisation de pouvoir réticulaire. Il se plaît à imaginer des techniques de gouvernement retorses qui excèdent le despotisme, et anticipent une biopolitique alors balbutiante. Mais il met aussi en question le fantasme d’un pouvoir tout puissant. Les passions subvertissent le fonctionnement du sérail et en révèlent les fêlures et les contradictions. Montesquieu expérimente également ce que serait la conscience de sujets qui seraient totalement assujettis : partagées entre demi-lucidité et aveuglement, tantôt complices du pouvoir, tantôt rebelles, les femmes d’Usbek ne se figent pas dans une identité prédéfinie. By interpreting the seraglio novel in the Lettres persanes as a symbol for despotism, hasn’t it been, as Kundera says, “orwellized”? Hasn’t its novelistic dimension been neglected? In the seraglio, many startling twist are at stake: on the one hand, Montesquieu uses it to imagine a reticular form of power. He enjoys at conceiving new crafty ways to govern, that anticipate biopolitics then in its early stages. On the other hand, he questions the delusion of an omnipotent power. Overwhelming as the power in the seraglio may be, passions and actors, building on its inherent contradiction, hijack it, making him functionning by unexpected ways. Besides, Montesquieu imagines what the conscience of supposedly wholly enslaved individuals would be: torn between half-lucidity and blindness, both ally of the power and rebel, Usbek’s women break free of their supposedly initial features.
Par-delà le despotisme, ou pourquoi le roman du sérail est-il bien un roman ? - 2022.
23
En interprétant le sérail comme une figuration du despotisme, n’a-t-on pas « orwellisé » la partie orientale des Lettres persanes ? A-t-on pris la mesure d’un romanesque qui donne la part belle à l’imprévu et au libre jeu d’acteurs singuliers ? Certes, Montesquieu utilise le sérail pour concevoir une organisation de pouvoir réticulaire. Il se plaît à imaginer des techniques de gouvernement retorses qui excèdent le despotisme, et anticipent une biopolitique alors balbutiante. Mais il met aussi en question le fantasme d’un pouvoir tout puissant. Les passions subvertissent le fonctionnement du sérail et en révèlent les fêlures et les contradictions. Montesquieu expérimente également ce que serait la conscience de sujets qui seraient totalement assujettis : partagées entre demi-lucidité et aveuglement, tantôt complices du pouvoir, tantôt rebelles, les femmes d’Usbek ne se figent pas dans une identité prédéfinie. By interpreting the seraglio novel in the Lettres persanes as a symbol for despotism, hasn’t it been, as Kundera says, “orwellized”? Hasn’t its novelistic dimension been neglected? In the seraglio, many startling twist are at stake: on the one hand, Montesquieu uses it to imagine a reticular form of power. He enjoys at conceiving new crafty ways to govern, that anticipate biopolitics then in its early stages. On the other hand, he questions the delusion of an omnipotent power. Overwhelming as the power in the seraglio may be, passions and actors, building on its inherent contradiction, hijack it, making him functionning by unexpected ways. Besides, Montesquieu imagines what the conscience of supposedly wholly enslaved individuals would be: torn between half-lucidity and blindness, both ally of the power and rebel, Usbek’s women break free of their supposedly initial features.
Réseaux sociaux